Exode rural, la "terre promise" ?
La Paroisse de Pama, érigée seulement en 1993, couvre toute la Province de la Kompienga située à l'Est du Burkina à la frontière du Bénin et du Togo. Beaucoup reconnaissent qu’elle a une potentialité exceptionnelle : bien arrosée en saison des pluies, réserve forestière enviée par beaucoup d'autres provinces, campements de chasse. Des agriculteurs et éleveurs, venant des Provinces du Nord, plus sèches et plus pauvres, arrivent de plus en plus nombreux, à cause de la richesse des terres.
Du rêve à la réalitéSouvent une famille envoie en exploration un membre, qui revient avec de bons résultats. Elle décide alors de s'exiler et quand plusieurs familles se déplacent ainsi, le phénomène devient ce que l'on appelle une "émigration" ; c'est-à-dire un déplacement de population à l'intérieur même de leur pays.
C'est ce qui se passe à Pama depuis près de 20 ans.
Si pour certains, l'exode vers la Kompienga est une marche vers la "terre promise" où ruissellent du miel et du lait, ce n'est pas toujours vrai pour d'autres. Arrivées avec très peu de moyens, des familles travaillent dur pour avoir de quoi vivre. Beaucoup habitent dans des habitations de fortune ; juste où reposer la tête. On se contente de peu, parce qu'on a peu. Et il faut travailler dur pour avoir d'abord la nourriture ; quand cela est assuré, on envisage le reste : la santé, l'éducation, le loisir.
Les Mossi sont réputés être de courageux travailleurs. Ce n'est pas inné en eux. Ils le deviennent par la force des choses ; sinon on crève de faim et ce sera la honte. La vie devient donc un combat, c'est ce que vivent plusieurs familles ici. La solidarité est un devoir ; car pour survivre on a besoin des autres. Leur aide est salutaire et l'union accroît la force dans le travail et dans la lutte de chaque jour. On voit des pauvres venir en aide à de plus pauvres qu'eux. De là est venu sans doute le dicton : quand on aide neuf pauvres, on devient le dixième.
Beaucoup de pauvres, mais pas de malheureux
Nous pouvons vérifier cela car cette pratique fait qu'il n'y a pas parmi les paysans de chez nous des gens immensément riches et des terriblement pauvres. II y a beaucoup de pauvres chez nous, mais pas de malheureux.
Ces pauvres n'ont pas grand chose mais ils sont toujours dans la joie ; leur rire le montre.
Le pauvre de chez nous a un visage rayonnant. Il se reconnaît pauvre, appelé à vivre contre vents et marées. La lutte est le lot quotidien de chacun d'eux. On vit sa pauvreté ; on ne la subit pas.
J'ai appris bien de choses en vivant la pauvreté au milieu des pauvres. Ce qui me fait mal, ce n'est pas le manque, mais les conséquences que ce manque engendre. Je suis écœuré devant cette mère qui assiste impuissante à l'agonie de son enfant, parce qu'il lui manque le nécessaire pour lui sauver la vie. Et comme d'autres, je craque devant ce qui se passe en donnant ce que j'avais réservé pour ce qui est prévu ; quitte à attendre une autre fois pour réaliser ce qui était prévu.
Beaucoup d'Européens nous reprochent de ne pas prévoir. En vérité, nous prévoyons mais quand arrive l'imprévu, ce que l'on avait prévu prend la dernière place pour que l'imprévu puisse être résolu ; et les imprévus chez nous, on ne les dénombre pas. Si au moins on pouvait les dénombrer, on se limiterait à ceux de chaque jour. Car à chaque jour suffit sa peine, nous dit l'Evangile.
Je pense souvent à ce que disait un moine à des pauvres paysans qui habitent autour du monastère pour solliciter de l'aide : « Voyez vous, nous sommes pauvres nous aussi, car nous n'avons rien pour nous personnellement ». Et les paysans de dire : « Vous êtes pauvres ? Nous aimerions être pauvres comme vous ». Comprenne qui pourra.
Frère Joseph-Marie ILBOUDO
Prieuré St Kisito
Pama (Burkina-Faso)