Foi chrétienne et traditions africaines
Entre le dire et le faire, l’expérience quotidienne montre qu’il y a un écart. Un adage du Burkina-Faso dit : que la main de celui qui sait parler traduise concrètement ce que sa bouche peut dire. Autrement dit, il vaut mieux agir dans le silence que parler puis ne pas faire.
Il est difficile de vivre sa foi
Pendant mon séjour au Burkina cet été, des jeunes chrétiens m’ont invité à une soirée “prière et partage”. Elle avait pour thème : la difficulté de vivre sa foi et l’impact de l’Église sur notre société. Au début, beaucoup ont souligné la confiance des citoyens envers l’Église, grâce à des institutions fiables face à la corruption, au service des plus pauvres, au sens de la gratuité.
Un jeune continue : « Sans nier ce que vous dites, posons-nous des questions sur notre famille-Église. A quoi sert-elle si des chrétiens sont incapables de résoudre les problèmes de leur milieu ? Des contradictions existent entre ce qu’elle dit et ce que vivent les fidèles : des exigences morales mais dans les familles chrétiennes on trouve tellement de filles mères ; sans parler de ceux qui fréquentent l’Église le jour et peuplent les cases des charlatans la nuit ! »
Un jeune étudiant poursuit : « Le Burkina-Faso a-t-il besoin de la foi chrétienne pour vivre honnête et respecter la dignité de l’être humain ? Le bon sens de nos traditions locales n’est-il pas suffisant pour vivre heureux et équilibré ? Des gens de la religion traditionnelle sont plus rigoureux que nous. »
Puis un homme expose ses difficultés : « Je crois au Christ, mais depuis trois ans ça ne va pas dans ma famille : fils malade, deux sœurs tuées dans un accident, incendie de notre maison, perte de mon travail. Mes oncles, mes tantes et d’autres ont dit : “Un vieux au village en veut à notre famille, il faut faire des sacrifices”; çà m’a fait peur ! Papa et maman, chrétiens très mordus, n’ont rien voulu entendre. Troublé j’ai cédé pour aider Dieu à punir les méchants. Mais maintenant je vis dans l’angoisse. Partager mes soucis va m’aider à retrouver ma force et ma foi en Jésus-Christ. »
L’Église partage la réalité de son milieu
Notre Église ne doit pas être étrangère à la réalité du pays, à ses traditions et mutations. Chrétiens nous devons prendre conscience de nos limites et de nos blocages. Notre foi et l’annonce de la Bonne Nouvelle se vivent dans les réussites et les crises culturelles de notre société.
Réunis à Rome en l’an 2000 les évêques africains adressaient ce message à leurs Églises : L’Afrique est en train de perdre graduellement son identité culturelle. Les valeurs que nos ancêtres tenaient en honneur et qui assuraient leur survie, s’érodent irréversiblement. Le respect que nous avions de la vie est relégué au passé ; notre vénération des personnes âgées, notre sens de l’autorité et du sacré se dissipent dans l’irrespect des comportements, notre estime pour la vie communautaire disparaît dans l’individualisme ; notre esprit d’affabilité, d’hospitalité et d’attention à l’autre est réduit à néant par la désintégration des traditions de notre vie sociale et culturelle.
Prendre conscience de ces crises c’est accepter que l’Église famille de Dieu ne soit pas étrangère à ces difficultés. Autrement les chrétiens formeront une sorte d’élite qui détient la vérité, au lieu d’être des chercheurs de vérité et de paix avec d’autres. Mais accepter les failles n’est pas chose facile.
L’Église signe de contradiction et d’espérance
Au cœur de ces contradictions je crois que l’Église reste un signe d’espérance et de salut.
Dans l’écoute de mes Frères et de l’Évangile je découvre que ma vie baptismale est à la fois faible et prophétique, pécheresse et promise à la sainteté. Je ne peux comprendre l’Église et vivre ma foi que si je l’accueille dans ce paradoxe.
Si je regarde mes frères du côté de leur faiblesse humaine ma démarche est réductrice. Et si je ne vois que la sainteté de Dieu, je méconnais ce qu’il y a de fragile chez l’être humain et dans notre chère Église. J’accepte ce contraste, en reconnaissant à la fois ce désir de tendre vers l’idéal et la pesanteur humaine qui m’empêche de l’atteindre. Saint Paul me nourrit beaucoup quand il dit : ce qui est à ma portée c’est d’avoir envie de faire le bien, mais pas de l’accomplir (Rm 7,18-25).
Les chrétiens ont besoin d’une foi capable de prendre en charge leur vie et le devenir de leur pays. Il faut éviter toute réponse hâtive. Une exigence très prononcée pousse certains à se montrer intraitables vis-à-vis de chrétiens indécis. On entend dire : « Je ne comprends pas que des chrétiens croient au salut en Jésus-Christ et célèbrent en même temps des funérailles mortuaires traditionnelles vouées aux cultes des esprits. Ils croient que Jésus-Christ est leur guérisseur et en même temps ils font des courbettes dans les cases des féticheurs de tous côtés ». Cette remarque est vraie, mais trop de rigidité peut devenir intolérable, alors que c’est un devoir pour nous les forts de supporter l’infirmité des faibles.
Personnellement je crois que sur ce chemin « du dire et du faire » il faut avancer avec humilité. Dieu seul est capable de réaliser pleinement ce qu’il dit (Gn 1,3-26). Je ne suis pas Dieu. Je prends conscience que je suis dans l’incapacité de réaliser l’idéal que je confesse ou enseigne, et aussi que je me sens incapable de dire toute la réalité de ce que je fais.
Frère Pierre ROUAMBA